Le géant prudent : Le Canada a été un pionnier de la révolution de l'IA. Pourquoi sommes-nous aujourd'hui relégués au rang de spectateurs ?
- Bold New Edge

- 15 oct.
- 8 min de lecture
Le Canada, en tant que nation, a une aversion culturelle profondément ancrée pour le risque. Fort d'une longue histoire où la stabilité a primé sur la disruption, les entreprises canadiennes et leurs dirigeants font face à un nouveau et grave problème qui s'est insidieusement installé : une incapacité croissante à combler le fossé entre une recherche brillante et la commercialisation audacieuse nécessaire non seulement pour prospérer dans l'économie difficile d'aujourd'hui, mais aussi pour survivre dans un paysage technologique en mutation rapide.
Cette incapacité d'adaptation a conspiré pour laisser le Canada — un pionnier de l'IA — dangereusement à la traîne dans la course mondiale à l'adoption de l'intelligence artificielle. La question n'est plus seulement de savoir pourquoi le Canada a été si prudemment lent, mais quel sera le coût catastrophique de notre inaction.
Dans les laboratoires calmes et climatisés de Toronto et de Montréal, des chercheurs canadiens ont conçu les fondements mêmes de la révolution moderne de l'IA qui transforme aujourd'hui le monde à toute vitesse. C'est ici que les parrains de l'apprentissage profond (deep learning), Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio, ont forgé les clés intellectuelles qui allaient ouvrir une nouvelle ère de transformation économique et technologique. En ce sens, le Canada devrait, de plein droit, être à l'épicentre de l'explosion de l'IA, un leader mondial non seulement en théorie, mais aussi en pratique.
Pourtant, alors que le monde s'engage dans une ère de changements dictés par l'IA, le Canada reste largement immobile, observant depuis la ligne de touche pendant que d'autres récoltent les fruits du travail qu'il a semé.
Les données brossent le portrait sombre d'une nation au bord d'une crise de productivité auto-infligée. Un rapport récent de l'Institut Macdonald-Laurier révèle que si les utilisateurs canadiens d'IA générative constatent des gains d'efficacité transformateurs — rapportant un gain de temps moyen de 73,4 % sur les tâches assistées par l'IA — le pays dans son ensemble ne parvient pas à capitaliser sur ce potentiel. Ces outils n'automatisent pas seulement les tâches répétitives ; ils augmentent et accélèrent la pensée critique, la résolution de problèmes et la production créative.
Une conclusion alarmante est le gouffre d'adoption entre le Canada et son plus grand partenaire commercial. Selon le rapport, seulement environ un travailleur canadien sur cinq (21,2 %) a intégré ces outils dans sa vie professionnelle. Les États-Unis, en revanche, sont passés à une deuxième vague d'adoption, avec près d'un professionnel sur deux (45,6 %) utilisant l'IA générative dans son flux de travail. Cet écart représente un fossé de productivité qui se creuse et pourrait s'aggraver avec le temps, à mesure que les travailleurs américains deviendront beaucoup plus efficaces que leurs concurrents canadiens.
Les entreprises canadiennes restent hésitantes, tandis que les entreprises américaines forment des divisions entières à l'ingénierie de requête (prompt engineering), à la génération de texte et au codage assisté par l'IA. Pendant ce temps, un nombre préoccupant d'entreprises canadiennes n'ont même pas encore publié leur première politique interne sur l'IA.
Les auteurs suggèrent que des facteurs tels que la taille et la richesse des entreprises pourraient jouer un rôle, car « les entreprises américaines, plus grandes et plus riches, peuvent plus facilement investir dans des abonnements à l'IA générative que les entreprises canadiennes, plus petites et moins nanties ». Cependant, ils concluent que ce n'est « aucune excuse pour ne pas investir dans une technologie qui améliore la productivité ».
Cette hésitation est ce que nous, chez Bold New Edge, considérons comme une « panne d'imagination ». Les dirigeants qui utilisent l'IA des dizaines de fois par jour sur leurs appareils personnels ont souvent du mal à envisager son application transformatrice au sein de leur propre organisation. Ce déficit d'imagination est renforcé par une culture d'entreprise qui récompense habituellement les gains prudents et progressifs plutôt que les sauts transformateurs — perçus à tort comme risqués.
Le fantôme des révolutions passées
Pour comprendre pourquoi les dirigeants d'entreprise canadiens non seulement échouent à faire le saut, mais ne voient même pas l'opportunité, il faut regarder plus en profondeur — dans l'ADN culturel de la nation, ses précédents historiques et la structure de ses incitatifs économiques.
Historiquement, la relation du Canada avec les changements technologiques transformateurs a été marquée par une adaptation prudente et souvent tardive, plutôt que par une mise en œuvre audacieuse. L'identité du Canada a été façonnée par une impulsion contre-révolutionnaire : une préférence pour l'ordre, la bonne gouvernance et la stabilité institutionnelle.
Pendant la première révolution industrielle, le développement du Canada fut méthodique. Nous nous sommes concentrés sur la construction des infrastructures fondamentales — canaux, chemins de fer — nécessaires à une économie basée sur les ressources. Un schéma lent et prudent similaire s'est répété avec l'émergence d'Internet. Alors que la Silicon Valley cultivait une culture du « move fast and break things » (agir vite et casser les codes), la politique canadienne se concentrait sur la garantie d'un accès équitable et la création d'organismes de réglementation.
Alors que l'année 2025 tire à sa fin, il est abondamment clair que l'IA ne fait pas que transformer le monde, elle le fait rapidement. Le rythme lent et prudent du Canada dans les secteurs manufacturier et industriel n'a jamais été aussi décalé qu'aujourd'hui.
Cette prédisposition culturelle se reflète crûment dans notre structure économique. Le Canada est pris dans ce que BDO Canada appelle un « paradoxe de la productivité », où malgré une main-d'œuvre très instruite et un talent considérable, le pays est à la traîne en matière d'innovation et de croissance. Ce n'est pas une nouvelle tendance ; c'est une condition chronique. Par exemple, en 2021, l'investissement canadien dans les technologies de l'information et de la communication (TIC) ne représentait que 2,5 % du PIB, bien en deçà des 3,7 % investis par les États-Unis.
Ce sous-investissement a des conséquences directes sur l'adoption technologique. Parmi les pays du G7, le Canada a le deuxième plus bas taux d'adoption de l'IA, à seulement 22 %. L'urgence de la situation a été soulignée par Carolyn Rogers, première sous-gouverneure de la Banque du Canada, qui a déclaré : « Vous connaissez ces panneaux qui disent : “En cas d'urgence, briser la vitre.” Eh bien, il est temps de briser la vitre. »
Bien que les statistiques révèlent que la productivité du Canada est loin derrière, il faut reconnaître que les raisons de cette hésitation et de cette complaisance sont complexes. Au-delà des défis culturels et de leadership, de nombreuses entreprises canadiennes font face à des coûts initiaux élevés pour la mise en œuvre de l'IA, à une pénurie persistante de talents spécialisés et accessibles capables de diriger ces projets, et à une mauvaise préparation des données, les laissant sans les données propres et organisées nécessaires pour entraîner et déployer efficacement des modèles d'IA. Ces facteurs créent une puissante inertie, renforçant une approche prudente d'attentisme.
Le paradoxe du potentiel et le déficit de courage
Il y a un paradoxe intéressant dans l'innovation canadienne : nous sommes brillants pour générer des idées, mais chroniquement inaptes à les commercialiser à grande échelle. Nos universités produisent une recherche de classe mondiale, mais une attraction gravitationnelle vers le marché américain, plus vaste et plus dynamique, fait que nos meilleures idées, et nos meilleurs talents, finissent souvent ailleurs.
Pour le conseil d'administration moderne, cette crise est un puissant cocktail de prudence culturelle et de peur individuelle qui paralyse la prise de décision. Adrián Gonzalez Sanchez, spécialiste de renommée mondiale en nuage, données et IA chez Microsoft et formateur à la Formation continue de l'Université Concordia, qualifie l'état psychologique qui saisit de nombreux cadres de « syndrome de l'imposteur de l'IA ».
« L'adoption de l'IA ne consiste pas à maîtriser soi-même chaque algorithme », note González Sánchez, ajoutant : « Il s'agit de choisir les bonnes opportunités, d'agir avec détermination et de préparer son organisation à prospérer dans les années à venir. »
Avi Goldfarb — économiste, titulaire de la chaire Rotman en intelligence artificielle et soins de santé à l'Université de Toronto, et co-auteur de Prediction Machines et Power and Prediction — déclare dans une publication de la Chambre de commerce du Canada : « L'IA n'est pas de la magie, c'est de la prédiction, et cette prédiction réduit le coût de la prise de décision dans tous les secteurs. Il ne s'agit pas de remplacer les gens. Il s'agit d'améliorer la façon dont nous prenons des décisions. » Il a ajouté : « Les entreprises nous disent : “Nous croyons que l'IA est importante, mais nous ne savons pas quoi en faire.” Ce retard est coûteux. Une fois que quelqu'un d'autre aura trouvé la solution, il se développera rapidement et prendra vos clients. »
Combler le fossé de l'imagination
C'est précisément cette combinaison d'un déficit d'imagination et de peur professionnelle qui a motivé notre réponse directe chez Bold New Edge. Reconnaissant le gouffre entre le potentiel de l'IA du Canada et son application pratique, nous avons lancé le programme L'IA pour les Décideurs, en partenariat avec Gonzalez Sanchez et l'Université Concordia pour cette initiative.
L'initiative est conçue pour aborder directement les obstacles qui freinent les entreprises. Sa mission est de combler le fossé entre la théorie et la pratique, créant une opportunité tangible pour les organisations de réduire les risques liés à la mise en œuvre de l'IA. En connectant les dirigeants avec les meilleurs esprits de l'IA au Canada, le programme les aide à passer d'un état d'inaction prudente à une confiance stratégique, en tirant souvent parti des incitatifs gouvernementaux pour atténuer le risque financier et, dans de nombreux cas, subventionner entièrement le coût.
La question à mille milliards de dollars : Pourquoi maintenant ?
Cela laisse la question la plus déroutante. Avec des incitatifs gouvernementaux à la R&D comme les programmes RS&DE (Recherche scientifique et développement expérimental) et PARI (Programme d'aide à la recherche industrielle) disponibles pour éliminer tout risque financier, pourquoi tous les PDG du pays ne font-ils pas la queue pour cet investissement transformateur ?
La réponse est peut-être la plus canadienne de toutes : un scepticisme profond envers les programmes gouvernementaux perçus comme complexes, et une culture d'entreprise souvent plus axée sur la gestion des coûts à court terme que sur la croissance à long terme. De nombreux dirigeants voient les programmes comme le RS&DE comme un fardeau administratif à gérer par les comptables pour les activités passées, et non comme un outil stratégique pour financer l'avenir.
C'est l'obstacle final et frustrant. La technologie est mature, des programmes existent pour dédramatiser le parcours et guider la vision, et les risques financiers peuvent être atténués. Pourtant, cela nécessitera une nouvelle génération de leaders prêts à rompre avec une longue et riche histoire de prudence. Il leur faudra reconnaître qu'à l'ère exponentielle de l'IA, le plus grand risque n'est pas d'agir avec audace, mais de rester immobile pendant que les concurrents exploitent l'IA pour prendre une avance considérable.
De la prudence au courage
Bien que les obstacles décrits soient réels, ils ne sont pas insurmontables. Ce n'est pas une histoire d'échec, mais de potentiel. La tendance canadienne à la prudence peut être vue comme un avantage. À une époque où le monde est aux prises avec le déploiement rapide de l'IA, les Canadiens sont prédisposés à une action réfléchie et délibérée. L'objectif ne devrait pas être simplement d'adopter l'IA, mais de construire des systèmes qui sont non seulement efficaces, mais aussi équitables et sûrs. Notre héritage d'innovation n'est pas une fière histoire à contempler, mais une rampe de lancement pour notre avenir.
Chez Bold New Edge, nous comprenons bien l'urgence non seulement pour les entreprises canadiennes de combler le fossé grandissant de l'IA, mais aussi de leur fournir de vraies solutions pour y parvenir. Il y a la pression de justifier le retour sur investissement, le risque personnel de se faire le champion d'une nouvelle technologie et le défi d'obtenir l'adhésion de l'organisation. C'est pourquoi notre programme d'adoption de l'IA commence par la construction d'un état d'esprit stratégique pour d'abord combler ce « fossé de l'imagination ». Mais nous passons rapidement de la théorie à la pratique, en guidant les entreprises dans la construction d'un actif tangible et prêt pour l'investissement pour leur propre activité. Vous repartez avec un prototype fonctionnel. Notre mission entière est de donner aux entreprises canadiennes les moyens d'agir et de garantir que leurs organisations soient fermement du côté du succès.
Références
Abdou, Marwa. AI Can Strengthen Canada’s Economy — If We Let It. 26 06 2025. BDO. “canada's-productivity-paradox.” https://www.bdo.ca/insights/canada-s-productivity-paradox, 24 02 2025, https://www.bdo.ca/. Consulté le 15 octobre 2025. Billy-Ochieng, Rannella, et al. “Artificial Intelligence Technologies Can Help Address Canada’s Productivity Slump.” https://economics.td.com/ca-AI-tech-can-help-productivity-slump, 28 05 2024, https://economics.td.com/Canada. Consulté le 15 octobre 2025. Hartley, Jonathan S., et al. “Canada’s generative AI wake-up call – From leader to laggard.” The Macdonald-Laurier Institute, 14 October 2025, https://macdonaldlaurier.ca/canadas-generative-ai-wake-up-call-from-leader-to-laggard-jon-hartley-filip-jolevski-vitor-melo-and-brendan-moore/. Consulté le 15 octobre 2025. MacDonald, Darcy. “How Canadian manufacturers can close the AI adoption gap before it’s too late.” Concordia University, 26 08 2025, https://www.concordia.ca/cunews/offices/provost/cce/2025/08/26/how-canadian-manufacturers-can-close-the-AI-adoption-gap-before-its-too-late.html. Consulté le 15 octobre 2025. Rogers, Carolyn. “Remarks Carolyn Rogers.” Time to break the glass: Fixing Canada’s productivity problem, 26 03 2024, https://www.bankofcanada.ca/2024/03/time-to-break-the-glass-fixing-canadas-productivity-problem/. Consulté le 15 octobre 2025.


